Type de document : | texte imprimé |
Titre : | Poursuivi par la chance : de Marseille à Buchenwald : mémoires partagées 1906/1996 : Fais ce que dois, advienne que pourra : dialogue avec Roger et Lily Nathan-Murat |
Auteurs : | / Mireille NATHAN MURAT |
Editeur : | Paris : L'Harmattan, 1996 |
Importance : | 317 p. |
Collection : | Mémoires du XXème siècle |
ISBN/ISSN/EAN : | 978-2-7384-4677-0 |
Format : | 317 p. / 21 cm |
Note générale : | Analyse in LECTURES, Actualités de la Bibliothèque Sigmund Freud, 1997, n°17, par E. Bizouard. |
Langues: | Français |
Mots-clés : | Génocide ; Camp de concentration ; Histoire : France, Résistance |
Résumé : |
Analyse par E. Bizouard parue dans LECTURES, 1997, n°17 :
Mireille Nathan-Murat, psychanalyste de la S.P.P., est fille de Roger, rescapé des camps de la mort, et de Lily, résistante réfugiée à Genève. Le livre restitue son dialogue avec son père et (de façon plus restreinte) avec sa mère. Il comporte également des témoignages d'autres personnes de sa famille et des copies de documents. L'auteur écrit : "Ce recueil vise à témoigner de la vitalité de ceux que les génocides de ce vingtième siècle ont atteints, sans les détruire tout à fait." Nous y trouvons aussi un chapitre intitulé : "Mireille : incidences sur la filiation, une approche psychanalytique", aspect du livre que notre lecture va privilégier. L'interview qui occupe la majeure partie du livre est un récit simple, détaillé, rempli de faits. Ces pages sont parfois bouleversantes alors que le ton en est tranquille, dénué de pathos. C'est une chronique d'années de lutte. L'ouvrage, scrupuleux par son réalisme, est susceptible de contribuer à l'histoire de la Résistance, où il apporte, entre autres, des éléments de contestation. Il enrichit les connaissances sur les camps d'extermination nazis, en l'occurrence Buchenwald et Ohrdruf S III. R. Nathan, dit Murat, franc-maçon et champion du Cercle de nageurs de Marseille, sympathisant actif des républicains espagnols, a été organisateur de Groupes francs en régions marseillaise et lyonnaise. Il a été, ainsi que sa femme, incarcéré en tant que résistant dans des prisons françaises. Son identité juive est également à cette occasion mise en cause (athée et d'origine partiellement catholique, il avoue ne s'être jamais senti juif). Il est ensuite déporté à Buchenwal où il passe un an, jusqu'en janvier 1945, puis est transféré à Ohrdruf S Ill, "camp d'extermination par le travail", d'où il s'évade le 2 avril 1945. Lors de son séjour dans ce deuxième camp, il tient un carnet secret adressé à sa femme et à sa petite fille, Michelle-Claude, âgée de quatre ans. Il ne leur en fera la lecture que cinquante et un ans après. "J'ai appris l'Humanité nue, l'Humanité ravalée à son rang de bête luttant dans la jungle la pire de toutes la jungle humaine où à tous les coins la mort, où (... J le faible est irrémédiablement condamné à mourir, victime de sa faiblesse, mais aussi de son voisin, de son camarade (!) qui l'écrase pour ne pas être écrasé (...), le tue pour ne pas être tué. (...) Hier, vous étiez moribonds, vous étiez des êtres humains souffrants, douloureux (...). L'aspect même de votre cadavre, je ne veux plus le voir, plus l'admettre, plus le réaliser, en être obsédé (...). Comme une lettre de vous me manque (...). J'ai rêvé de vous cette nuit" (pp. 280-86). Lily Parienty, la mère de l'auteur, a perdu son père, son beau-père, sa mère, sa sueur et son frère, arrêtés en tant que juifs et morts dans les chambres à gaz, à Auschwitz. Viennent les années d'après-guerre. M. Nathan-Murat, "née des retrouvailles", en 1945, de Lily et de Roger, s'interroge sur elle-même. Elle n'est guère indemne du passé des parents. Pourtant, la souffrance qui s'y rapporte ne pourraitelle être dite usurpée ? Elle s'était trouvée, semble-t-il, en face de son père, figure vigoureuse et qui assurait, face aux horreurs du passé, "un travail de colmatage vigilant" et d'une mère, en proie, elle, à "un deuil impossible, viscéral" et qui, à propos de la mort à Auschwitz de sa sueur âgée de vingt ans, disait : "Je n'ai pas le courage de m'exprimer. Il reste, tout au fond de moi, un refus de la vie lorsque je pense à elle" (p. 166). Or, écrit-elle, "l'enfant s'imprègne d'émois inarticulés de ses parents ". "Il y a si peu de temps pour eux, "il était une fois" pour l'enfant. Cette imprégnation d'effroi n'a d'autre objet actuel pour l'enfant que les parents eux-mêmes, qui sont, à leur corps défendant, agents transmetteurs" (p. 246). Il peut alors s'opérer pour l'enfant un "processus d'identification dévoyée", donnant lieu à l'"attente du retour permanent d'un même destin d'une génération à l'autre" et notamment, "d'un retour dans le réel de persécutions auxquelles ils devraient, à leur tour, héroïquement faire face" (p. 246). L'auteur met certes en cause ses propres émois pulsionnels et la trop grande proximité des parents. Elles se demande également qu'elles sont les difficultés de la transmission du côté des parents, où se produit trop d'évocations et "tout un imaginaire saturé de trop-dit (et) de pas-assez énoncé" (p. 251). Ce que les parents ne pourraient transmettre seraient, en particulier, une mémoire de honte et d'humiliation. Faisons ici une halte et ouvrons une parenthèse pour nous interroger à notre tour. Ce qui, à certains survivants des génocides, serait essentiel, voire vital, est également le refus du souvenir de ce qui les laisse inconsolables : des pertes de proches. Refouler est alors, sur le plan intrapsychique, une victoire relative, mais réelle. Ce point est important, engageant nos positions psychanalytiques fondamentales: Ferenczi soutenant contre Freud que l'épreuve de la remémoration du traumatisme (ou de sa représentation différée) risque d'être mortifère. Un passage de l'ouvrage de M. Nathan-Murat soutient peut-être implicitement ce point de vue. Anne-Paule Parienty, tante de l'auteur, écrit dans l'après coup à propos des événements où elle luttait pour la survie, tout en pressentant que ses parents, arrêtés, étaient perdus "J'avais pu faire l'économie de mon imagination. J'avais fait et maintenu le vide dans mon coeur Cela avait été mon courage, en tout cas le prix de ma survie" (p. 179). Puis : "(ce poids) [. .. ] c'est une présence de mort qui s'est un jour immiscée dans ma vie et contre laquelle je me suis, moi, assez bien défendue" (p. 182). D'autres questions peuvent surgir à la lecture de l'ouvrage. Face à l'évocation, dans toute sa véracité, d'un passé intolérable, les intérêts des parents et ceux des enfants sont-ils toujours convergents ? Qu'est-ce qu'une bonne transmission ? Les Grecs se trompaient-ils quand ils célébraient des rites d'oubli ? A la question spécifique concernant l'héritage des enfants des génocides M. Nathan-Murat apporte en tout cas des réponse précises et qui méritent d'être envisagées. Elle fait référence, notamment, au "doute fondamental sur la capacité humaine à contenir la violence sociale comme individuelle". Elle parle de la perte d'une certaine part d'innocence sans laquelle il ne peut y avoir de consentement à la vie. Revenons à la question de la chance, posée par le titre de l'ouvrage. La chance est une énigme. Elle fait fréquemment partie des sujets tragiques, où la mort se joue des efforts de survie, au sein de situation extrêmes et imprévisibles. La notion de chance est également mentionnée par J. Semprun dans son livre sur Buchenwald. Lors d'un bombardement, R. Nathan-Murat, soudain appelé par quelqu'un, se déplace. Un autre vient prendre sa place et est immédiatement tué. Énigme. Font toutefois partie de la chance, ces différentes qualités : résistances psychique et physique, amour de la vie, goût du combat et également, attention vigilante à l'adversaire, attitude pragmatique et aussi... la possibilité de parler sa langue maternelle "pour échapper à l'univers de Babel où les nazis apportent leur arbitraire" (p. 227). Le pari individuel de survie a été tenté par quelqu'un de chanceux. Les ressources qu'il a manifestées peuvent être méditées. Elles font partie de l'intérêt du livre. |
Note de contenu : | Bibliographie, photos |
Exemplaires (2)
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10012075 | NAT | Ouvrage | BSF Paris | Salle de lecture : Ouvrages A-Z | Disponible au prêt |
10012074 | NAT | Ouvrage | BSF Paris | ψ Réserve : Ouv. A-Z | Consultation sur place |