Type de document : | Article : texte imprimé |
Titre : | Le traumatisme psychique constitue une blessure du langage par atteinte des réseaux de significations (2021) |
Auteurs : | / Yann AUXÉMÉRY |
Dans : | Évolution Psychiatrique (vol. 86, n° 2, 2021) |
Article en page(s) : | pp. 375-397 |
Langues: | Français |
Mots-clés : | Traumatisme ; Stress post-traumatique |
Résumé : |
Objectifs
Le trauma apparaît à l’intérieur du discours des personnes blessées psychiques, matérialisant ce que nous avons récemment défini « syndrome psycholinguistique traumatique » (SPLIT). Traduisant l’indicibilité, les reviviscences, et la dissociation, cette entité clinique associe trois perturbations signifiantes : l’anomie traumatique (manque du mot, réduction du débit élocutoire, gestes déictiques, etc.), les répétitions linguistiques (de mots et syntagmes, intrusions verbales, échophrasies, etc.), et la désorganisation phrastique et discursive (phrases incomplètes, discordance des temps, dysfluence, défaut des connecteurs logiques, etc.). Quelles sont les causes de ces expressions séméiologiques et psycholinguistiques ? Quels sont leurs processus psychologiques et/ou neuropsychologiques ? Il s’avère temps de proposer un nouveau concept destiné à franchir les modèles antérieurs afin de mieux repérer les personnes souffrant de troubles psychiques post-traumatiques, de mieux organiser et évaluer les soins psychothérapeutiques, et aussi, autour de ces deux premiers objectifs, de mieux rassembler les praticiens. Mais, comment évoquer, affirmer, dire les conséquences de l’indicibilité ? Rien de plus contradictoire, en apparence, que de vouloir définir le vide langagier. Comment rendre compte des fractures du traumatisme psychique dans le discours ? Rien de plus incertain que de tenter d’organiser les bouleversements, les désordres causés par la dissociation dans le langage. Enfin, comment préciser la réitération du trauma grâce à des mots et des phrases sans que cette modélisation ne soit en elle-même dissociante ou répétitive ? Aujourd’hui, grâce à une lecture psycholinguistique, des dimensions essentielles de la clinique post-traumatique, jusqu’ici occultées, peuvent être explicitées. Pourquoi un événement vient-il précisément faire trauma dans la vie d’un sujet à un moment donné de son existence ? Pourquoi se structure une phase de latence entre l’événement traumatique et le retour des reviviscences sous le coup d’un facteur redéclencheur ? Comment différencier la notion de dissociation en tant que phénomène normal, de la dissociation dite traumatique ? Comment expliquer les multiples formes cliniques des troubles psychiques post-traumatiques ? Méthodes À partir de l’histoire clinique de Pierre, nous détaillons chronologiquement la structuration et les conséquences de la réflexion signifiée constitutive du traumatisme psychique : les outils psycholinguistiques offrent ici de formuler une nouvelle conception étiopathogénique du trauma et de ses conséquences psychiques. Puis, grâce au témoignage de Jean, reprenant le sens rétrospectif de l’analyse clinique à partir du syndrome de répétition chronique, nous découvrons les phases de mises en tension des connaissances signifiées, jusqu’au réseau antérieur à la confrontation constitutive du trauma. Enfin, illustrée par le trouble de Karima, au-delà de la dépersonnalisation, nous explicitons que l’analyse des perturbations d’un réseau signifié singulier et aussi, d’une atteinte de ses bases familiales et sociétales, témoigne des subjectivités individuelles et collectives. Résultats Provenant du réel du monde, et donc aussi du corps, les stimuli constitués des signaux captés par nos sens s’associent entre eux pour composer un événement objectivable par ses coordonnées temporelles, spatiales, biologiques et physico-chimiques. À partir de ces éléments, une interprétation réalisée par l’esprit se fédère, attribuant un sens à cet événement devenu réalité subjective. Mais lorsque le sujet n’est pas suffisamment préparé à être confronté à ce sens entrant en contradiction extrême avec ses réseaux de significations cardinaux antérieurs, il fait « trop sens » : cet hyper-signifié inconciliable que nous nommons Signifié Traumatique (Sé-T) entraîne une dissociation post-traumatique. En d’autres termes, c’est une impossibilité de concordance d’un signifié à certains des systèmes de significations préalables qui constitue la pathogénie du trauma : une situation devient d’autant plus à risque traumatique qu’elle vient battre en brèche, et surtout mettre en péril, une partie ou la totalité des réseaux de significations cardinaux d’un sujet. Ce signifié insoutenable bloque par réflexe les capacités de significations immédiatement pré- et post-traumatiques puis dissocie à des degrés et intensités divers les fonctions psychiques. Le signifié traumatique, rejeté, devient inatteignable : les stimuli ayant conduit à sa formation se retrouvent cantonnés à l’état de reviviscences dont chaque réplication tente de franchir la barrière de l’inconcevabilité. Limitant les composés sensoriels à leurs états bruts sans possibilité d’intégration représentationnelle, les voies associatives restent bloquées. Le signifiant est renvoyé à un hypo-signifiant (Sant-PostT) cantonné à l’infra-linguistique par sa confusion d’avec le référent, c’est-à-dire les composants « objectifs et matériels » de l’événement traumatique. La dissociation n’est donc qu’une réaction symptomatique, secondaire au traumatisme, qu’elle vient renforcer derechef en gardant bornée toute possibilité de représentation du trauma. Cette dissociation n’entraîne pas l’oubli du signifié traumatique mais en « protège » les réseaux de significations adjacents autant qu’elle « garde » cet hypersignifié intact et donc, finalement, le « protège » aussi. Le signifié traumatique perdure quelque part, et même, finit par se retrouver partout : lorsque les réseaux de significations s’avèrent globalement perturbés, les liens les plus resserrés restent ceux de l’hypersignifié traumatique qui régit, finalement, l’ensemble. Discussion Nos connaissances restent insuffisantes à qualifier précisément l’architecture des réseaux signifiés idiosyncrasiques et leurs capacités évolutives, nous ne pouvons prédire, au préalable, la réaction d’un individu confronté à une situation potentiellement psychotraumatique. Pour l’immense majorité des situations cliniques, nous affirmons que le traumatisme psychique survient chez un sujet psychiquement sain, c’est-à-dire ne souffrant d’aucune maladie psychiatrique ni d’aucun conflit psychopathologique patent. La psychothérapie permettra de découvrir les origines signifiées, parfois anciennes, d’un trauma survenu chez un sujet singulier. Comment s’est construite cette subjectivité ? Au-delà de la subjectivité individuelle, l’intensité de certaines confrontations telles des agressions graves ou des catastrophes macrosociales comme un génocide, semblent entraîner des blessures psychiques chez tout individu, voire à l’échelle d’une population. Alors que chaque sujet produit au cours de son existence un système de significations en lien avec une construction psychique unique, celui-ci persiste issu de, et souvent reste chapeauté par, l’essence communautaire de réseaux signifiés socles que nous appelons « subjectivité sociétale ». Ici, le traumatisme psychique peut correspondre à une blessure individuelle et « commune » en tant que mise en défaut d’un partage, de croyances ancestrales ancrées dans la mémoire collective, définissant la culture. Par l’effondrement des certitudes acquises, les schémas cognitifs transmis par l’éducation, la langue, et tout ce qui fonde l’appartenance à une société, le trauma ébranle les réseaux de significations individuels et groupaux. L’horreur s’avère d’autant plus à risque traumatogène qu’elle vient mettre en défaut les fondamentaux de l’homme, les assises d’un réseau signifié commun à une culture, voire à toutes les cultures, c’est à dire à la condition humaine. Tel est le cas du meurtre, du viol, de la torture, des guerres, des génocides. Témoignant d’un instinct de survie issu des fondations biologiques de tout être vivant, l’impossibilité de « vivre la mort » apparaît ancré dans nos réseaux de significations et se manifeste par l’indicibilité, traumatique en tant que telle : être déserté par le langage heurte la condition d’être parlant. Et pourtant, il reste possible d’en dire quelque chose... Voie des désocialisations progressives, la perte ponctuelle de la communauté de langage, puis ses ravages traumatiques pérennes, peuvent s’apaiser par le rétablissement d’un lien de parole, à l’intérieur du seul esprit du sujet, ou bien favorisé par l’échange avec autrui, selon un cheminement psychothérapeutique, notamment. Conclusions Là où les discours théoriques ont parfois divisé, dépassant les symptômes d’indicibilité et de dissociation, la pratique offre aujourd’hui de réunir. Grâce à une écoute psycholinguistique, des phénomènes n’ayant jamais été explicités prennent sens : singularité de la perception traumatique, chronologie des troubles incluant la phase de latence, facteur redéclencheur les reviviscences, et diversité des formes cliniques chroniques. Tous ces symptômes post-traumatiques sont conséquentiels d’une blessure du langage, d’une difficulté d’accès au sens, c’est-à-dire la mise à mal de deux dimensions caractérisant, construisant l’être humain. Autant qu’il intègre des déterminants extralinguistiques, si le signifié traumatique n’est sans doute pas uniquement parole, le langage apparaît la voie privilégiée pour l’identifier comme, dans le même mouvement, l’apaiser. L’hypersignifié traumatique se découvre de l’analyse clinique et de la psychothérapie, après-coup, attribution de sens, reconstruction rétrospective d’un « vrai » instable, narration changeante se distanciant éternellement des reviviscences. Mais quels sont précisément les mécanismes thérapeutiques efficaces ? Quels sont les liens intersubjectifs appelés dans l’interlocution entre patient et praticien ? Les opérations que nous appelons « psychothérapie » pourraient-elles être constituées de mobilisations des réseaux de significations par des actes de langage ? |
Exemplaires (1)
Code-barres | Cote | Support | Localisation | Section | Disponibilité |
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20020887 | K04-4 | Revue | BSF Paris | ψ Réserve : Périodiques | Consultation sur place |