Type de document : | Article : texte imprimé |
Titre : | De l’identité numérique vers la personnalité connectée, du diagnosticien augmenté vers le soignant virtuel : quels enjeux pour la psychologie et la psychiatrie du futur ? (2021) |
Auteurs : | / Yann AUXÉMÉRY |
Dans : | Évolution Psychiatrique (vol. 86, n° 2, 2021) |
Article en page(s) : | pp. 261-283 |
Langues: | Français |
Mots-clés : | Identité ; Virtuel ; Diagnostic |
Résumé : |
Objectifs
Qui sommes-nous devenus, citoyens, patients, praticiens ? En quoi les moyens de communications et l’informatisation de notre société modifient-ils, intègrent-ils nos identités ? L’intelligence artificielle comprendrait-elle bientôt plus justement l’être humain dont elle s’émanciperait ? Matériel et méthodes Cheminons à partir de la lexicologie pour tenter de saisir, via le point de vue de la philosophie, l’identité contemporaine vers la notion d’« identité numérique » dont les incidents psychologiques normaux ou pathologiques entraînent ce que nous définissons « la personnalité numérique ». Puis, posant les bases d’une psychologie de l’identité contemporaine, nous envisageons comment « la psychologie » et « la psychiatrie » actuelles considèrent « la personnalité » du patient et, en retour, comment elles se définissent du point du vue du « praticien en ligne » ou du « chercheur connecté ». Résultats En échange de son utilisation « gratuite », l’action de l’internaute sur le Web 2.0 produit du contenu et alimente des bases de données, déclaratives ou non. En perte d’intimité au fur et à mesure que « ses » données ne lui appartiennent plus, l’identité du citoyen se décompose en fonctions des supports digitaux : site de rencontre amical, plateforme de liens amoureux, blog concernant un loisir ou un voyage, etc. Par le même mouvement, l’identité numérique se compose en autre-soi possédant une part d’intelligence artificielle pourvoyeuse de capacité d’existence propre. Plutôt que deux entités parallèlement différentiables, réelle ou augmentée, naît une identité hybride « réalistiquo-virtuelle ». Quelles conséquences normales ou pathologiques chez l’être humain ? Les tendances sociétales post-modernes issues du digital ou y trouvant expression peuvent entraîner, chez un individu donné, une exacerbation des traits de personnalité préalablement existants, voire des symptômes. Parallèlement, il arrive que les moyens de communication moderne deviennent une aide pour expérimenter le monde, majorer l’estime de soi, rêver favorablement ses phantasmes, se confier plus facilement à des « inconnu(e)s », etc. Mais dans tous les cas, chez le sujet souffrant, ou ne souffrant pas, préalablement à sa surexposition, de maladie neuropsychiatrique ou de trouble psychopathologique, il s’avère aujourd’hui scientifiquement documenté que la confrontation numérique accrue induit des atteintes neuropsychiques massives (affaiblissement de la mémoire de travail, des capacités d’attention et de concentration, des aptitudes à construire des opérations cognitives élaborées, etc.). Sur le plan psychopathologique, plutôt que la terminologie de « trouble de l’identité » ou une notion de « co-identités », le terme d’« identité trouble » nous paraît le mieux rendre compte de cette mutation du « moi » où la frontière entre réalité et virtualités s’amenuise : la dissociation prévaut. L’homme post-moderne et ses objets connectés ne font plus qu’un, mais cet « uniforme » apparaît constitué d’un patchwork de confettis identificatoires plus ou moins accolés, sans réelle harmonisation d’ensemble. La personnalité commune se marque d’hyperexpressivité et d’hyperémotivité, au détriment de la possibilité de contrôle des affects et du développement des capacités d’introspection. Contre le risque du vide, tend à se développer une contra-phobie par l’ordiphone, par l’objet lui-même, par la possibilité de contacter en permanence ses proches si nécessaire, et en retour rester toujours « disponible », ce qui alimente une forme d’égocentrisme addictogène. Résulte de ses évolutions, globalement dans la société, un affaiblissement des capacités langagières, et ainsi de réflexion, y compris pour l’espace clinique et scientifique. Discussion Pour les domaines de la psychologie et de la psychiatrie, s’associent actuellement deux évolutions : une velléité d’« objectivité-scientificité » et une numérisation de la relation patient–soignant. Du côté de la « science », la médecine objective « factuelle » s’intéresse de plus en plus à la pathologie aux dépens du sujet en souffrance, confondant signe et symptôme, glissant jusqu’à un niveau moléculaire, très en-deçà du patient, vers une psychiatrie ou une psychologie « post-clinique ». Qu’on veuille la promouvoir ou l’anéantir, du côté du clinicien ou du chercheur, la « subjectivité » est devenue un signifiant à la mode pour le domaine de la santé psychique. Ce retour actuel du « subjectif » prospère sur une sorte de peur de la subjectivité depuis la fin de la seconde guerre mondiale qui avait entraîné la nosographie américaine vers les « objectifs » des DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Psychiques publié par l’American Psychiatric Association depuis 1952). Mais plutôt qu’une connaissance validable, et/ou invariable concernant tel ou tel trouble psychique, le changement, la relativité des entités nosographiques d’une version à l’autre du manuel traduit, en miroir, la subjectivité d’une époque, ce que nous appelons « subjectivité sociétale ». Autant qu’elle témoigne de notre temps, la révolution bio-numérique s’imposera probablement dans une future édition de la nosographie : la validité diagnostique devrait se majorer par la définition précise de marqueurs biologiques et/ou neuroradiologiques, si ceux-ci participent à construire une théorie étiopathogénique des phénomènes psychiques observés. Cette orientation reste toutefois balbutiante : outre l’infime nombre de biomarqueurs identifiés, et surtout utilisables en pratique quotidienne, leurs liens de causalité ou de conséquentialité avec les symptômes ou le processus morbide restent le plus souvent incertains autant qu’ils sont fort divers et interreliés. Le chercheur en neurosciences vise à mesurer et analyser une multitude de données, intégrant en particulier les mimiques et les émotions authentifiables par caméra thermique, les mouvements des segments des corps et dynamiques des regards enregistrables par des capteurs, la standardisation des voix et des discours pour analyse par logiciel informatique de la prosodie, des signifiants employés, de la syntaxe… le tout s’intégrant dans un phénotypage digital de la souffrance. Pourra-t-on bientôt parler, en remplacement du psychologue ou du psychiatre, de « diagnosticien augmenté » ? Conclusion Apparaît-il actuellement hasardeux de faire confiance à un thérapeute entièrement virtuel… expérience déjà lancée il y a plus de 50 ans ! L’être humain est un « être de sens », or, selon le modèle de la clinique traumatique, le surgissement du tout-numérique peut entraîner un « effondrement du sens » générateur d’une tendance à la dissociation de la personnalité. Accordant le rétablissement des liens entre émotions, affects, comportements et cognitions, le langage parlé atténue puis fait disparaître la dissociation. Guidée par le praticien, cette parole thérapeutique est parfois qualifiée de « maïeutique », du nom de la science de l’accouchement : elle construit synchroniquement à son essence la pensée, et une prise de conscience de celle-ci, plutôt qu’elle n’en rendrait compte secondairement. Il s’agit d’une réinterprétation causale d’un sens compris ou plutôt « attribué » singulièrement par le sujet, après-coup, le passé revisité dans l’instant noue une synthèse, le hasard est transformé en destin. Le sujet qui parle réélabore son histoire vers une reconstruction sémantique, une densification de ses réseaux de signification. Reconquérant son être par la création d’un discours, de méandres véridiques comme fictionnels, la narration, voire la poétisation, offre l’illusion ponctuelle d’une meilleure cohérence, toujours relative, illusoire La parole thérapeutique et le discours sur celle-ci restent en devenir, inachevés, incertains autant que vivants, caractérisant une « post-psychothérapie », c’est-à-dire une psychothérapie et non pas une technique rééducative qui se trouverait figée dans des objectifs connus à l’avance. Les notions de faits et de réalité sont ici secondaires, non pas au sens de l’objectif, ni même du subjectif, mais du second degré, puis d’autres degrés successifs ou imbriqués portant l’effort intellectuel. Vers l’apaisement, si nous voulions amener la réflexion à son paroxysme, nous pourrions avancer qu’il suffirait de donner « n’importe quel sens », d’en choisir un quel qu’il soit, du côté du patient ou du praticien, sans qu’il ne soit nécessairement le même, témoignage d’une construction intersubjective formellement invalide. |
Exemplaires (1)
Code-barres | Cote | Support | Localisation | Section | Disponibilité |
---|---|---|---|---|---|
20020887 | K04-4 | Revue | BSF Paris | ψ Réserve : Périodiques | Consultation sur place |