Résumé :
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"Lettre pour lettre" est un ouvrage de psychanalyse consacré à une clinique dont le déchiffrement serait écriture. Lire avec de l'écrit, c'est mettre en rapport de l'écrit avec de l'écrit ou plus précisément translittérer. Cette opération centrale qui est à la clé des déchiffrements et à l'origine même des écritures phonographiques, est généralement laissée pour compte dans notre discipline. On dit couramment que les ethnologues transcrivent et traduisent des récits, des rites et des conduites, mais jusqu'à nouvel ordre il n'est jamais dit qu'ils translittèrent. Et pourtant, que fait Lévi-Strauss sinon lire de l'écrit avec de l'écrit quand il ramène le système de parenté des Kariera à un jeu de permutations mathématiques et décode les mythes à l'aide de la formule Fx (a) : Fy (b) ~ Fx (b) : Fa — 1 (y) . Certes, il n'est pas possible de translittérer s'il n'y a pas eu au préalable transcriptions et traductions. Les trois opérations sont nécessaires. Mais en quoi diffèrent-elles les unes des autres ? Quelles sont leurs spécificités respectives ? Telles sont les questions auxquelles Jean Allouch apporte des éléments de réponse qui intéressent tous ceux qui écrivent. Interroger les opérations de l'écrit, c'est interroger le processus même de la recherche. Ne serait- ce qu'à ce titre, cet ouvrage de psychanalyse concerne aussi les ethnologues.
La translittération est tout d'abord déchiffrement ; les travaux de Champollion sur l'écriture hiéroglyphique l'attestent. A l'époque où les textes inscrits sur la pierre de Rosette furent connus des spécialistes, on pensait que les caractères hiéroglyphiques étaient représentatifs d'idées, à l'exception des caractères insérés dans des cartouches, qui, eux, devaient transcrire des noms propres. Cette conjecture s'étayait sur deux faits. D'une part les caractères inscrits dans le cartouche de la pierre de Rosette comportaient un nombre de signes égal à celui de l'inscription du nom de Ptolémée dans le texte grec, d'autre part on savait qu'un nom propre ne se traduit pas. Pas plus en grec qu'en français on ne traduit « M. Smith » par « M. Forgeron ». A la différence des autres signifiants d'une langue, les noms propres n'ont pas pour but de faire sens. Fort de ces acquis, Champollion rapprocha le cartouche de la pierre de Rosette de ceux gravés sur l'obélisque de Philae, qui étaient eux aussi traduits en grec. La traduction mentionnait que le prêtre du temple adressait une requête à Ptolémée et à son épouse Cléopâtre. Comme ces deux noms comprennent en grec des lettres communes occupant dans chacun d'eux des places différentes. (Charles Pradelle de la Tour, L'Homme 94, avr.-juin 1985, XXV (2), pp. 157-186.)
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